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"Day by Day", le dernier salut de Vince Speranza, vétéran de la 101e Airborne

"Day by Day", le dernier salut de Vince Speranza, vétéran de la 101e Airborne
 Publié le vendredi 04 août 2023 à 12:59 - Mis à jour le vendredi 04 août 2023 à 14:26    Bastogne

Le vétéran de la 101e Airborne Vince Speranza est décédé ce 2 août, à l’âge de 98 ans. Le héros de guerre revenait régulièrement à Bastogne partager ses souvenirs et sa bonne humeur.
En décembre dernier, il témoignait encore de son quotidien durant l'hiver '44, au fil de sa chronique "Day by day", que nous publions ci-dessous.


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Personnage attachant, véritable bout en train, Vince Speranza n’est plus. Le héros de guerre est décédé ce mercredi 2 août à l’âge de 98 ans dans sa ville de Auburn (Ilinois). L’ancien vétéran, membre de la célèbre 101ème aéroportée américaine était attaché à Bastogne où il a combattu durant l’hiver 44. “De retour au pays, je voulais tout oublier, tirer un trait sur ce que nous avions vécu. Je ne voulais plus participer à aucune commémoration. J’étais devenu professeur et voulais consacrer mon temps à construire les gens et non à les détruire...”, nous livrait-il, ému, dans une interview accordée lors de sa dernière visite en décembre dernier.Ce n’est que 65 ans après la fin de la guerre que je suis revenu à Bastogne”.
Depuis, l’ancien combattant a maintes fois assuré le déplacement, et souvent le spectacle, lors des traditionnels “nuts days”, en visite au War Museum où il aimait à échanger avec les jeunes générations, ou encore à Mont, il y a un an, où il a assisté à l’inauguration de la stèle dédiée à la 501ème régiment d’infanterie aéroporté

En décembre dernier, Vince Speranza ne cachait pas qu’il lui devenait difficile de supporter les longs déplacements.
Au jour le jour, sur sa page Facebook, il a partagé une dernière fois ses souvenirs, que nous vous rapportons intégralement ci-dessous

La ville de Bastogne rend hommage à "Vince"

Par communiqué, la ville de Bastogne et son bourgmestre Benoît Lutgen ont rendu hommage au héros de guerre, “l'ami de tou(-te)s les Bastognard(e)s”.  “Ce vétéran américain au grand cœur a marqué les esprits par sa bravoure, sa joie de vivre et son sens inégalé de la camaraderie. (...) Son parcours de vie doit inspirer chacun d'entre nous. Lors de ses visites à Bastogne (et elles furent nombreuses !), il honorait avec nous la mémoire de ses pairs tombés au combat, toujours avec la plus grande compassion. Il aimait partager.  Ses témoignages sont des contributions inestimables à la préservation de l'Histoire, à notre devoir de mémoire.(...)Son humilité face à ses actes de bravoure et son dévouement envers les autres resteront gravées dans nos mémoires. Ils continueront d'inspirer les générations futures. Au nom de tou(-te)s les Bastognard(e)s, le Bourgmestre présente à sa famille ses plus sincères condoléances. Merci pour tout, Vince ! Notre reconnaissance à ton égard est éternelle. Repose en paix.” 

Day to day”, le journal de Vince, Décembre 2022 

Salut les amis, je pars tôt demain pour Bastogne”, écrit Vince Speranza le 7 décembre sur sa page Facebook.
Durant une quinzaine de jours, il prendra le temps, commentaires et photos à l’appui, de partager ses souvenirs de l’hiver 44.

Dec 21, 1944

 

"Bonjour les amis. Jour après jour, le Bastogne d'il y a 78 ans s'insinue dans ma mémoire. Aujourd'hui, le 21 décembre 1944 devient inquiétant. Il y a trois jours, le 18, j'ai gagné mon surnom ""Curse and Traverse Speranza". Je suis maintenant, le 19, l'un des "Boys", totalement accepté, totalement lié, et c'était si bon. Il y a deux jours, ils nous ont encerclés, ont pris l'hôpital de campagne et ont commencé les bombardements et des attaques constantes pour tester le périmètre. Nous subissons des pertes à un rythme alarmant. Il fait très froid dans nos vêtements d'été (la nuit -8 -10 en dessous de 0). Le moral est toujours là, élevé, mais la colère monte contre notre armée de l'air. Où diable sont-ils ? Ne savent-ils pas que nous avons besoin de vêtements chauds, de nourriture et de munitions ? Les Allemands volent, pourquoi pas nous ? Hier, le 20, était une mauvaise journée. Les sergents ont dû redistribuer des munitions qui s'étaient amenuisées. Aujourd'hui,  21, encore plus de cette foutue neige, plus de bombes,  plus d'obus, plus de pieds gelés, et ces rations K bien grasses qui donnent à tout le monde la chiasse. Les choses feraient bien de s'arranger rapidement." Vince

Dec 22, 1944

"Aujourd'hui, 22 décembre 1944, quelque chose de fou s'est produit. Après un bombardement soutenu, l'artillerie allemande s'est soudainement arrêtée et une jeep a été vue avec deux officiers allemands et un chauffeur agitant un drapeau blanc. Enfoirés de "cockey" que nous étions, nous pensions qu'ils voulaient se rendre. Bien sûr que non, ils ont demandé à être emmenés à notre commandant. Nous avons découvert plus tard qu'ils offraient à notre général McAuliffe des conditions de reddition auxquelles il a répondu "NUTS". Ils sont partis en promettant de tuer de nombreux Américains. Tout ce que nous savions, c'est que, pendant deux heures, nous étions capables de sortir de nos terriers, d'étirer nos os froids et fatigués et d'allumer une cigarette. Le bombardement a repris, nous avons sauté dans nos trous et nous nous sommes préparés pour une autre attaque. Elle n'est pas venue. Les sergents ont continué à redistribuer les munitions. Ils nous ont raconté une rumeur selon laquelle les canons de McAuliffe n'étaient plus que de deux obus par canon et par jour. Vraiment une mauvaise nouvelle puisque ces armes étaient la seule chose qui gardait les chars hors de nos culs. Quelque chose de mieux va arriver bientôt." Vince

Dec 23, 1944

"Aujourd'hui, 23 décembre 1944, fut un jour record. Croyez-le ou non, juste à l'aube, le soleil est sorti. Après cinq jours de brouillard, de brume, de neige et de matinées nuageuses, le soleil a brillé de mille feux. On a failli se réchauffer un peu. Mais l'événement suivant était la chose vraiment importante, nous avons entendu le rugissement des moteurs d'avions, des avions américains. Six P47, les chasseurs-bombardiers les plus récents des USA, ont plongé du ciel, bombardé et mitraillé tout autour de nous, réduit au silence l'artillerie allemande, puis ont volé directement au-dessus de nos têtes en agitant leurs ailes. Ils avaient préparé le terrain pour l'événement principal. 134 C47 ont largué des paquets de fournitures en parachute. Nourriture, munitions et essence. Mais pas un seul avion chargé de vêtements chauds. Quelle déception pour nous les gars des "foxholes". Nous marmonnâmes quelques mots choisis à propos de l'officier d'approvisionnement qui avait planifié le largage. Un planeur est également arrivé avec du matériel médical et du personnel indispensables. Comme c'était bon d'être à nouveau complètement armé et la perspective d'une évasion. Maintenant, bande de bâtards, on vient après vous." Vince

Dec 24, 1944

"Ce  24 décembre 1944 a commencé calmement et sous le soleil. Si silencieux que des officiers sont venus nous lire la lettre de vœux de Noël du général Mc Auliffe. La plupart d'entre nous souriaient, certains se moquaient, d'autres fronçaient les sourcils. De retour dans les "foxholes" alors que l'artillerie de la veille de Noël commençait à "se mettre au point". Vers le soir, la situation s'est aggravée lorsque des bombardiers allemands sont apparus. Le sol a de nouveau tremblé alors que de lourds explosifs nous ont à nouveau collés. Nous avons enduré. Incroyablement, deux heures plus tard, ILS SONT RETOURNÉS et nous ont bombardés à nouveau, apparemment déterminés à nous faire sortir de nos terriers ! "Sales connards, c'est la 101e Airborne. Nous ne partons pas et, très bientôt, nous allons sortir de ces trous de renard et vous donner un bon coup de pied dans le cul." Quel réveillon de Noël !"  Vince

Dec 25, 1944

"Ce jour de Noël à Bastogne 1944 a été le pire jour de tous. Les Allemands ont dû entendre que Patton était en route et ont fait une dernière tentative désespérée pour nous faire sortir de ce monde gelé. Toute la journée et jusque tard dans la nuit, l'artillerie lourde, les nouvelles fusées Katuska, les mortiers nous ont visés. Le bruit était infernal. Plus de dégâts. Aucune différence. Personne n'a bougé. Vos jours sont finis "Krauts". Joyeux Noël et bonne nuit."

Dec 26, 1944

"Ce jour, à Bastogne '44, les choses étaient devenues très calmes. Puis, tout à coup, PATTON ! Je l'ai vu de loin sur le troisième char qui s'est interposé entre nous et les 327 Glider boys. Quel choc merveilleux. C'est fini! Les "Bâtards" du Bastion de Bastogne l'ont fait. Et maintenant, une caserne bien chaude quelque part, de la bonne bouffe chaude, une douche, des vêtements propres, non ? .... Faux .... Ike a dit: "Vous (101st Airborne) et la 82nd Airborne devez être le fer de lance repoussant les Allemands jusqu'à Berlin EN TANT QUE TROUPES TERRESTRE RÉGULIÈRES. Les rêves se sont évaporés. Et ainsi se termine le siège de Bastogne et le début du 132 du temps de combat jusqu'au 8 mai où les Allemands se sont finalement rendus. C'était une expérience, je vous assure. La suite de l'histoire est dans mon livre, "NUTS". Vince


Christophe Thiry