Après dix ans de bataille judiciaire, la Cour de justice de l’UE a tranché: l’enfant non biologique d’un travailleur frontalier a lui aussi droit aux allocations familiales, dès lors qu’il réside au domicile commun. Un revers pour l’administration luxembourgeoise.
Près de dix ans après l’adoption au Luxembourg d’une loi restreignant l’accès aux allocations familiales pour les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a infligé, jeudi 18 décembre, un sérieux revers à l’administration luxembourgeoise.
Selon l’arrêt, la condition d’octroi de l’allocation familiale est «satisfaite» dès lors qu’il existe une véritable «communauté familiale» entre le travailleur frontalier et l’enfant, caractérisée notamment par l’existence d’un domicile commun. Une décision lourde d’enjeux pour les familles recomposées de frontaliers, qui avaient été directement touchées par la réforme.
Un arrêt «très clair»
L’arrêt est «très clair», souligne Georges Gondon, président de l’association Frontaliers Luxembourg. «Dès lors qu’un lien officiel existe au sein du couple — mariage ou pacs, selon le pays — et que les enfants résident sont domiciliés au même endroit, le droit aux allocations familiales est ouvert», résume-t-il.
La décision de la Cour ne constitue pas une surprise. Celle-ci a suivi les conclusions de l’avocat général rendues le 12 juin dernier, qui estimaient déjà que «dès lors qu’il réside au domicile commun et, partant, qu’il vit dans une communauté familiale» avec le travailleur frontalier, l’enfant biologique de ce dernier peut bénéficier de l’allocation familiale «prévue dans l’État membre où ledit travailleur exerce une activité salariée».
«Après dix ans d’action, c’est un beau de Noël pour tous ces enfants», se réjouit Georges Gondon, qui souligne «l’opiniâtreté et l’obstination» qu’il a fallu pour «aller jusqu’au bout» de ce marathon judiciaire.

Une décennie de bataille judiciaire
A l’origine de l’affaire, il faut en effet remonter à l’adoption de la loi litigieuse, en 2016. Alors que les enfants d’une famille recomposée – par exemple, un homme, travailleur frontalier, se marie avec une femme qui a des enfants d’une précédente union – percevaient jusque-là automatiquement les allocations familiales, l’administration luxembourgeoise leur refuse désormais.
L’affaire provoque alors un tollé: les résidents luxembourgeois continuent en effet à bénéficier des allocations dans des situations identiques, alors même que les travailleurs frontaliers cotisent au régime luxembourgeois au même titre que les résidents.
Les recours se multiplient alors devant les juridictions. En 2020, la CJUE donne une première fois tort au Luxembourg, en jugeant que l’enfant d’un travailleur frontalier peut, sous conditions, ouvrir le droit aux allocations familiales. La Cour précise toutefois que le travailleur doit «pourvoir effectivement à l’entretien» de l’enfant.
Le Luxembourg désavoué à nouveau
Mais l’affaire n’est pas close. L’administration luxembourgeoise adopte une lecture très restrictive de cet arrêt, exigeant que le travailleur frontalier démontre qu’il prend en charge l’intégralité des besoins de l’enfant. Sur cette base, les refus d’allocations se poursuivent. Saisie du litige, la Cour de cassation luxembourgeoise décide alors, le 25 avril 2024, d’interroger à nouveau la CJUE sur la portée exacte de cette notion d’entretien de l’enfant.
En retenant comme critère déterminant la simple «existence d’un domicile commun» et en désavouant explicitement l’interprétation luxembourgeoise de son précédent arrêt, la décision du 18 décembre invalide à nouveau l’approche du Grand-Duché.
La loi de 2016 fragilisée
L’arrêt va même plus loin, en fragilisant la loi de 2016 elle-même, estime Georges Gondon. «La définition luxembourgeoise de la famille n’est pas conforme au droit européen. Il faudra probablement modifier la loi», avance-t-il. Mais, souligne-t-il, quel que soit le choix du législateur, «les allocations familiales devront désormais être versées à tous les enfants des travailleurs frontaliers, sans distinction entre enfants biologiques et non biologiques».
La balle est désormais dans le camp de la Cour de cassation, qui devra notifier à l’administration luxembourgeoise l’obligation de se conformer à l’arrêt de la CJUE. «Nous espérons que l’ensemble du processus juridique sera bouclée d’ici le mois de juin», indique Georges Gondon.
Le président de Frontaliers Luxembourg appelle toutefois les familles concernées à ne pas attendre. L’arrêt ne produisant pas d’effet rétroactif, il recommande d’introduire une demande d’allocations familiales dès maintenant. «Même si l’administration refuse dans un premier temps, c’est la date de dépôt de la demande qui fera foi. Les droits commenceront à courir à partir de ce moment-là. Plus on tarde, plus le versement effectif des allocations sera repoussé», insiste-t-il.