Ce lundi 24 novembre, le budget provincial a été voté par la majorité PS-MR-Engagés, seuls les deux conseillers écolos ont voté contre. Et pourtant, ces derniers n'avaient pas le monopole de l'opposition... le chef de groupe MR, Michel Jacquet, s'est montré particulièrement mordant vis-à-vis du partenaire socialiste.

"Chassez le naturel, il revient au galop. Ce brave Jacquou a déballé et huilé son vieux fusil". Dans son discours de fin de session budgétaire, Michel Jacquet (chef de groupe MR) a tout de suite annoncé la couleur: il n'a pas totalement rendu les armes. 

On se souviendra qu'au moment de monter dans l'attelage provincial, les élus MR avaient manifesté leur mécontentement de ne pas être traités d'égal à égal avec les autres partenaires de majorité. Un an plus tard, le sentiment persiste vis-vis des Engagés, mais c'est surtout le partenaire socialiste qui en prend pour son grade.

Jouant de la comparaison entre le budget 2026 et la cuvée du Beaujolais nouveau, le chef de groupe MR estime que le breuvage " a une robe bien trop rouge-rose" et qu'il n'y retrouve pas "les arômes et les qualités" qu'il aurait souhaité. Plus piquant, "Jacquou le croquant" comme il se caricature lui-même, reproche au député socialiste de ne pas encore avoir compris "qu'un dossier devait être préparé avec soin". Il fait allusion ici à un litige qui oppose la Province à l'ONSS sur les primes octroyées aux infirmières et qui pourrait coûter plusieurs centaines de milliers d'euros à l'institution. De son pupitre, à moins de deux mètres de Nathalie Heyard (ex-députée provinciale et actuelle chef de groupe PS), il lui reproche de continuer "à revendiquer une prime de sortie de plusieurs centaines de milliers d'euros", alors qu'elle pourrait reprendre ce poste en cours de législature et ajoute "qu'il faudra aller devant les tribunaux pour faire reconnaître le caractère juridiquement non fondé de cette demande".

Pour les partenaires de majorité, le discours avait sans aucun doute le "goût acide et rapeux" évoqué par le chef de file libéral.

"Le discours du chef de groupe MR aujourd'hui était quand même un peu surprenant. Pas mal de critiques à l'égard du partenaire socialiste. C'est interpellant, en tous cas à titre personnel, moi, ça me dérange" Élie Deblire, chef de groupe Les Engagés
"C'est vrai qu'on n'a jamais eu cette habitude-là. Nous, quand on est en majorité, on se soutient, on s'entraide et on ne forme vraiment plus qu'un bloc. Et là visiblement, le nouveau partenaire a du mal à trouver sa place dans la majorité et est toujours un peu dans une posture d'opposition... et surtout vis-à-vis du PS, avec ce sentiment qu'il y a un partenaire de trop". Nathalie Heyard, chef de groupe PS.

Alors, faut-il en conclure que la majorité actuelle est bancale? Lorsqu'on lui demande si la tripartite ne fonctionne pas, Michel Jacquet nuance son propos:  "je n'ai pas dit ça. Je pense que c'est perfectible, sans aucun doute, et qu'on ne tient pas suffisamment en compte des équilibres au niveau des sièges et que donc, là, il y a certainement des choses à améliorer. Et il y avait également des choses sur lesquelles nous ne sommes absolument pas d'accord, comme ces dépense que l'on juge excessives. Et ça, c'est mon rôle de chef de groupe, de l'indiquer.".

Fidèle à des reproches déjà formulés lorsqu'il était sur les bancs de l'opposition, le libéral juge également que la Province tarde toujours à se concentrer sur des missions principales, en veillant à ce que les moyens soient "dédicacés à des politiques essentielles pour notre province, bien sûr, la santé, la sécurité, le service technique, l'agriculture... en voilà quatre qui sont certainement parmi les plus importantes".

Du côté d'Ecolo, on fustige également un manque de vision stratégique, évoquant un budget "conçu dans la précipitation, le manque de concertation et l'imprévision" et reprochant à la majorité de ne pas "anticiper les mesures structurelles en prévision de la réforme des provinces, voulue par le cartel MR-Engagés", qui par ailleurs, veut "tuer les provinces". 

Pour les Verts, l'enjeu central reste la transition environnementale. S'ils leurs paraissent louables, les efforts de la Province dans ce domaine sont jugés très largement insuffisants. Et de citer en exemple les investissements énergétiques dans les bâtiments provinciaux, jugés "hypocrites" au regard de la politique menée par la coalition régionale MR-Engagés qui a "démantelé le système de prime à la rénovation pour encourager le citoyen à rénover son bâti".

L'Arizona décide, les pouvoirs locaux assument

C'est tout le paradoxe imprimé en filigrane de cette session budgétaire provinciale: la Province se retrouve mise en difficulté par des politiques menées à d'autres niveaux de pouvoir. Avec la particularité d'avoir un partenaire de majorité socialiste, absent de ces coalitions gouvernementales, et qui n'hésite pas à dénoncer ce grand écart. Particulièrement la volonté, inscrite dans la DPR (déclaration de politique régionale) de mettre fin aux provinces. Une intention restée jusqu'à présent lettre morte.

"C'est embarrassant pour eux, puisqu'ils voient tous les services qui sont rendus, les besoins, et ils disent: remplacez les provinces! Oui mais par quoi ?" commente Nathalie Heyard (PS), mettant en avant le rôle joué par l'institution provinciale: "que ce soit pour la promotion de la santé à l'école, il y a plus d'un million que la province remet en plus. Que ce soit pour les services résidentiels de jeunes, des jeunes qui sont en situation de handicap, qui sont en difficulté... là c'est la moitié, la province met la moitié de l' investissement". 

"Je me dis que quelque part, c'est rassurant. Ils sont en train de se rendre compte qu'ils ne savent pas, qu'ils n'ont pas de solution alternative".  Nathalie Heyard (PS) sur l'avenir des provinces.

Prise entre plusieurs feux, la Province est de plus en plus sollicitée. Elle doit assumer ses missions de base, comme la prise en charge des zones de secours ou le soutien aux communes, affronter les coupes budgétaires liées par exemple à la fin des APE et répondre, peut-être, à de nouveau défis. Tous les partis ont ainsi réaffirmé leur soutien à TV Lux... mais là aussi, les avis divergent sur la manière. 

Quel financement demain pour TV Lux?

Le MR souhaiterait lier ce financement de substitution à sa volonté de diminuer la taxation immobilière. "Le mouvement libéral a un attachement viscéral à TV Lux et va le prouver à nouveau en mettant une large sourdine à sa demande récurrente de diminuer les centimes additionnels (sur le précompte immobilier). Notre volonté était d'obtenir une réduction de 50 centimes, soit l'indexation annuelle qui vient mécaniquement grossir nos recette fiscales. Nous somme prêts à réduire notre demande à 15 centimes et ainsi à attribuer à TV Lux l'euro complémentaire, qui devra être indexé à l'euro cinquante que Sofilux continuera de payer statutairement pour 2026, 2027 et 2028 ". La formule permettrait de soulager en partie les communes de l'effort demandé jusqu'à présent. Une seconde solution, qui n'est pas l'option privilégiée par le MR, serait de conserver la même taxation mais de prendre en charge les 2,5 euros supportés actuellement par Sofilux.

Les deux scénarii seront sur la table des discussions qui débuteront dès ce mercredi, avec une première rencontre entre le Collège, la direction et la présidence de TV Lux. 

Mais toucher à la fiscalité, ce n'est pas la meilleure des idées, estiment les Engagés. Le chef de groupe, Élie Deblire, nous l'a répété, ces moyens seront bien nécessaires pour soutenir les communes luxembourgeoises, également sous pression. "D'autant que la diminution qui est demandée est dérisoire, personnellement cela me ferait une économie de 15 euros et j'ai un revenu cadastral assez important. Par contre, en valeur absolue, c'est une somme importante pour la Province, on parle de 2 millions d'euros. Il est clair que nous ne pouvons pas nous priver de ces recettes fiscales pour les années futures". 

Concernant le mécanisme mis en avant par le MR pour soutenir TV Lux, le chef de groupe des Engagés ne cache pas son étonnement, pour ne pas dire, son agacement:

"C'est assez incroyable, car l'idée d'aider TV Lux fait l'unanimité. Et ce qui était convenu c'est que personne ne reprenne à son compte cette idée. Tous les partis sont d'accord d'aider TV Lux, nous le ferons. Maintenant, le tout est de savoir comment? Au travers d'une intervention Sofilux ou d'une intervention provinciale?  Le mécanisme proposé par Michel Jacquet est sur la table. Et soit Sofilux continue à verser 1,50 euros, soit Sofilux fait la démonstration que ce n'est pas possible, et c'est la Province qui palliera cette demande et qui arrivera aux 2,50 euros, en plus de l'intervention actuelle de la Province. Tout cela est convenu, il n'y a pas de surprise pour moi aujourd'hui".
Élie Deblire, chef de groupe (Les Engagés)

On notera que la majorité s'accorde également sur le fait que cette réorientation du financement de TV Lux se fera à condition que le média mène "un plan d'économies pour rester dans l'orthodoxie des 2,5 euros" a précisé Michel Jacquet (MR).