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Argent communal : qui contrôle le directeur financier ?

Argent communal : qui contrôle le directeur financier ?
 Publié le mardi 28 juin 2022 à 10:16 - Mis à jour le lundi 04 juillet 2022 à 15:33    Neufchâteau - Province

Ce mercredi, le conseil communal de Neufchâteau prendra acte à huis clos de la démission de son directeur financier, suite à la découverte et aux aveux, de détournement d’argent public. La ville lancera par la suite une procédure de remplacement. Avec question en tête cette : comment éviter que cela se reproduise ?


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Les récentes malversations à la commune de Neufchâteau et à la zone de police Centre-Ardenne ont placé sous les projecteurs une profession peu connue du grand public, et pourtant essentielle : directeur financier. Ce grand argentier est-il à l’abri de toute erreur ou tentation ? Qui contrôle ? Et avec quels moyens ?  Tentative d’explication.

Ne l’appelez plus “receveur communal”, mais bien “directeur financier”. Au-delà du changement de nom intervenu en 2013 -à l’instar de l’ex-secrétaire communal devenu directeur général- la fonction de directeur financier a fait l’objet d’une importante réforme portant sur les grades, barèmes, conditions de nominations et d’évaluations… Mais une chose demeure : le directeur financier reste le grand argentier de sa commune ou de son CPAS.

Seul responsable 

A la fois percepteur, payeur, et conseiller budgétaire des élus, le directeur financier est le seul responsable des comptes communaux. Sa fonction est coulée dans la loi : c'est lui qui assure le suivi financier ; c’est lui qui conseille les bourgmestre et échevins en matière budgétaire ; c’est lui qui remet un avis sur tout projet ayant une incidence sur les finances communales ou de l’action sociale ; c’est lui qui perçoit les recettes et effectue les versements… tous les versements.  

De janvier à juin, on a atteint allègrement les 3500 opérations”, nous glisse ce directeur financier d’une petite commune ardennaise. Cela fait 700 opérations par mois, 35 par jour ouvrable. Et cela, au départ de plusieurs comptes en banque. “Dans notre commune, nous avons une dizaine de comptes courants, dont trois ou quatre sont utilisés très régulièrement. C’est une question de facilité. Il y a un compte pour la perception des taxes, un autre réservé aux ventes de bois, un pour les locations de chasse, un pour les écoles, un pour l’extrascolaire, un pour les renseignements notariés, un autre pour l’office du tourisme, …” Et chaque commune a ses habitudes, ses usages, ses propres comptes.

Beaucoup (trop?) de pouvoir dans une seule main

L’ex-directeur financier de Neufchâteau a reconnu ses fautes et présenté sa démission. Il reviendra à la justice de faire la lumière sur ses agissements. Une chose est sûre, tous les ex-confrères avec qui nous avons échangé sous couvert d’anonymat, ont mis en avant l’extrême compétence et la force de travail du personnage. Certains ont aussi pointé son omniprésence et ses multiples mandats, à la commune et au CPAS de Neufchâteau, ainsi qu’à la zone de police Centre-Ardenne durant une période. Trop ?“Quelle que soit la fonction, une concentration de pouvoir peut créer un sentiment de supériorité, de puissance, et parfois même… d’impunité.  Il en va aussi dans notre profession”, glisse ce confrère, non sans amertume.

On nous cite çà et là d’autres exemples connus. “Dans une zone de police belge, se rappelle un de nos  interlocuteurs,  des malintentionnés avaient créé un profil fictif, mais avec un vrai numéro de compte. Ils se sont fait attraper lors d’un simple état des lieux des forces en présence, lorsqu’est apparu ce nom d’un policier inconnu au bataillon… ” Ailleurs en Belgique, un directeur financier octroyait seul des prêts communaux à une société privée gérée par un membre de sa famille. “Le pot aux roses a été découvert par le curateur de l’entreprise quand elle est tombée en faillite”.

Ces exemples d’abus de pouvoir ne doivent néanmoins pas occulter la probité et la qualité du travail de la -très grande- majorité des directeurs financiers, qui exercent leur fonction dans l’intérêt du service public, consciencieusement et fidèlement au serment qu’ils ont prêté.  Mais il est un fait : “Celui qui a les cartes en main est le maître du jeu”,  admet cet autre directeur financier. “Comme dans toute grande entreprise, le risque zéro n’existe pas. Mais il faut le réduire au minimum”. Les garde-fous sont multiples.

Tracer les mouvements financiers

Premier élément : il y a d’abord de moins en moins de manipulation d’argent. “Chez nous, on est en train d’assécher les caisses et de supprimer toute forme d’argent liquide. Même au niveau des repas scolaires, tout s’effectue par virement”. L’intérêt est double :  “Ça évite les tentations et ça facilite le suivi comptable”.

L’informatisation et les logiciels sur mesure jouent un rôle important. Chaque mouvement de trésorerie correspond à une pièce comptable, et rien n’échappe au programme “Civadis” majoritairement utilisé dans les communes : “Les employés au service finance disposent de leur propre mot de passe et d’une clé d’accès individuelle. Avec cette clé, on sait retrouver qui a fait quelle opération et à quel moment”. 

Puis il y a les règles instaurées localement. Ainsi à Oupeye, commune liégeoise de 25000 habitants, tous les numéros de compte utilisés ont été vérifiés et sauvegardés : “il est interdit d’effectuer un versement sur un numéro de compte non connu, non encodé.  Au besoin, il est même possible de tracer et vérifier qui a au préalable enregistré un numéro de compte”, explique Martine Rademaker.

Multiplier les intervenants  

Mais pour la directrice financière de Oupeye, qui est également membre du conseil d’administration à l’Union des Villes et Communes de Wallonie, la protection la plus efficace reste la multiplication des intervenants : “la division des tâches est le plus efficace des pare-feux”. 

L’avis est partagé par plusieurs DirFin luxembourgeois : “séparer celui qui travaille sur le budget, de celui qui établit les mandats, de celui qui attribue les marchés publics, de celui qui effectue les paiements ou qui comptabilise les extraits de compte. Plus il y a d’intervenants, plus il y a de contrôles et de vérifications croisées”.  

A Oupeye, par exemple, une personne est chargée de préparer les ordres de paiement, et une autre personne de leur exécution. “Ainsi dans notre service, ajoute Martine Rademaker, quatre personnes ont un regard sur les comptes en banque et les mouvements”.  En procédant de la sorte, les vérifications se font à différents échelons, par différentes personnes, dans leur travail au quotidien.

Reste que la proposition est plus facile à mettre en place dans de grandes communes, que dans des petites entités. “Au plus la structure est petite, au plus il est difficile de trouver le personnel ou les compétences, reconnaît la spécialiste. Mais c’est un choix politique. C’est aux élus de déterminer s’ils préfèrent renforcer le service financier, ou un autre département qu’ils jugeraient plus utile, ou plus visible électoralement”. 

Le contrôle par le collège 

A ces mesures, il faut ajouter le contrôle de caisse trimestriel, légalement obligatoire.  Quatre fois par an, le collège des bourgmestre et échevins vérifie la situation comptable, et les extraits bancaires. Mais un directeur financier relativise : “Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un contrôle financier pointu. Les élus s’assurent surtout de la santé financière de leur commune. Ils n’ont pas pour mission d’éplucher toutes les factures, d’examiner les justificatifs, de comparer les montants versés, ou de contrôler les numéros de compte…”  Non seulement ils n’en ont pas le temps, mais en plus, et ce n’est pas blessant de l’écrire, ils n’en ont pas nécessairement les compétences.

En tournante… 

Nous en sommes persuadés, il est très probable que le directeur financier malveillant serait encore à la barre à la commune de Neufchâteau, sans la clairvoyance de celui qui l’a remplacé fin 2021 à la zone de police Centre-Ardenne. Il n’y aurait jamais eu d’enquête  sans son contrôle minutieux et la mise au jour de mouvements financiers interpellants. Doit-on voir dans ce remplacement, une autre manière de se prémunir ? Ne faudrait-il généraliser le système de tournante, comme le connaissent les receveurs régionaux ?

… à l’instar des receveurs régionaux ?

Certaines communes travaillent avec un directeur financier, d’autres avec un receveur régional. Les deux exercent exactement les mêmes responsabilités, à cette différence près : le premier est fonctionnaire communal, nommé à durée indéterminée ; le second est fonctionnaire régional, attaché à un pool provincial sous l’autorité du gouverneur et de son commissaire d’arrondissement, envoyé en mission dans certaines communes.
Dans la province, nous comptons seize receveurs régionaux, précise Olivier Dervaux. Ce sont ces receveurs régionaux qui assurent la direction financière dans les communes de moins de 5000 habitants -c’est une obligation légale- ainsi que dans certaines communes, ou leur CPAS, de 5 à 15.000 habitants, sur base volontaire”.  

Alors que le directeur financier dépend d’une seule commune, le receveur régional est donc mobile.  Selon les besoins, il passe d’une commune à une autre, d’un CPAS à un autre, au libre choix du gouverneur et de ses services… et non pas du collège échevinal.
A son arrivée en 2018, rappelle le commissaire d’arrondissement, le gouverneur Olivier Schmitz a même insisté pour que les receveurs régionaux ne restent pas plus de quatre ou cinq dans une même commune. Ceci pour éviter toute forme de proximité avec le pouvoir en place…” 

Cette mobilité entre receveurs régionaux a cet autre avantage : tous les quatre ou cinq ans,  le nouveau receveur contrôle les comptes de son prédécesseur. Comme récemment à la zone de police.

Le contrôle par la tutelle wallonne

Que les communes optent pour un directeur financier ou un receveur régional, c’est in fine à la Région et à ses services de tutelle qu’incombe une forme de responsabilité. “C’est en quelque sorte, le réviseur d’entreprises des communes”, compare Martine Rademaker. “Mais son rôle a évolué. Au début de ma carrière, il arrivait que du personnel de la tutelle wallonne débarque dans les communes pour inspecter les comptes. Ce n’est plus le cas depuis longtemps”. Un avis que partage ce directeur financier luxembourgeois :  “Nous avions l’obligation de leur fournir toutes les pièces comptables et justificatifs. On allait déposer les caisses de documents à l’administration wallonne à Arlon. C’était plus strict avant”.  

D’autant que l’administration wallonne n’a peut-être plus autant de temps ou de personnel pour s’en occuper… “Désormais, les communes ont jusqu’au premier juin pour déposer leurs comptes à la Région wallonne. Celle-ci a ensuite trente jours pour les valider. A la veille des vacances, le timing est plutôt serré”, constate, dubitative, Martine Rademaker.

Le directeur financier est un des deux piliers au sein de l’administration communale, garant de la conduite budgétaire, responsable in fine des mouvements bancaires, protecteur des deniers publics. Aux élus et au législateur de tout mettre en œuvre pour limiter les risques. Les erreurs involontaires, comme les intentions malveillantes. 


Christophe Thiry