Le développement économique du Luxembourg se voit-il freiné par manque d’électricité ? Selon le député fédéral Benoît Piedboeuf, 21 transformateurs Elia seraient saturés et empêchent toute installation d’entreprises à court terme. Il s’en est inquiété auprès du ministre de l’énergie Mathieu Bihet. 

De nombreux citoyens ont déjà fait l’amère expérience de panneaux photovoltaïques qui décrochent ou de raccordements qui sautent, en raison de la fragilité du réseau basse tension.  Ils ne sont pas les seuls. 

Les entreprises aussi peinent dans leur développement. Selon Benoît Piedboeuf, la fragilité de postes de transformation empêcheraient certaines d’entre elles de s’agrandir, voire de se créer : “21 postes transformateurs Elia sur 23 (en Luxembourg, ndlr) seraient saturés rendant toute installation d’entreprise impossible à court terme.  Plusieurs projets d’envergure risqueraient d’être freinés, voire compromis (...)”.

Dans sa question parlementaire adressée au ministre de l'énergie Mathieu Bihet, MR lui-aussi, Benoît Piedboeuf évoque notamment le projet d’hôtel Van der Valk sur le site de Galaxia à Transinnes : “il risquerait d’être à l’arrêt pour les mêmes raisons”. Tout comme le projet de déménagement de l’entreprise de bus Penning (Kéolis) sur la commune de Tintigny : “Je me suis entretenu avec la direction. Ils sont dans l’incapacité de se projeter vers l’avenir. D’un côté, ils savent qu’ils devront transformer leur flotte vers de l’électrique, ce qui nécessitera de gros investissements, mais ils ne savent pas s’ils bénéficieront de la puissance nécessaire. Pour le moment, ce n’est pas le cas”, regrette le député-bourgmestre.

La question de la saturation des cabines hautes tensions inquiète aussi du côté d’Idélux. Ce mercredi, l’intercommunale a interpellé l’ensemble des députés fédéraux et régionaux luxembourgeois. Dans un courrier qui nous est parvenu, Idélux pointe les parcs d’activités impactés.

La carte parle d’elle-même : de Durbuy à Aubange, 37 parcs sur les 56 gérés par l’intercommunale sont dans le rouge, en manque de puissance. Et sept sont à la limite. Seuls une douzaine de parcs d’activités situés sur l’axe Bastogne-Vielsalm ne sont pas touchés. 

“La problématique ne touche pas que les parcs d’Idélux”, nous précise un proche du dossier. “Ça concerne tout qui a besoin de haute tension, comme une entreprise de recharge électrique par exemple. Et puis le problème n’est pas lié à la seule province de Luxembourg. Ça impacte aussi une partie de Namur, de Liège, du Hainaut. Il faudrait un réinvestissement massif pour combler le déficit. Mais même si le budget était là, encore faudrait-il disposer du matériel. Or le marché des transformateurs est lui-aussi saturé au niveau mondial…”

Carte reprenant les parcs d'activités touchés par la saturation des cabines haute tension

Élia confirme "une augmentation inédite de la demande en Luxembourg"

Suite à l'interpellation du ministre de l'énergie, Élia, gestionnaire du réseau de haute tension, a confirmé "une évolution sans précédent" de la demande en énergie en Province de Luxembourg depuis 2024. 

De nouveaux clients ou de nouveaux acteurs tirent la consommation vers le haut. "Ces demandes viennent principalement des bornes de recharge rapide (43%), de parcs de batteries (28%), et de projets concernant les industries et d’autres projets de développements locaux (29%)".
Si toutes ces demandes se concrétisent, cela représenterait dans les cinq ans une augmentation de 294 MW, par rapport à une consommation existante de 316 MW. C'est donc un doublement de la demande qui est attendu d'ici 2030. Selon Élia, on assiste à une mutation technologique: "face à ce basculement on sait que 60% de ces nouvelles demandes peuvent d’ores et déjà être pris en charge par le réseau existant. Pour les 40 pourcents restants, il faut trouver des solutions que ce soit via la flexibilité ou au cas par cas". Le gestionnaire rappelle, par ailleurs, qu'il investit déjà énormément dans le réseau.

"Les investissements totaux d’Elia dans le réseau wallon à haute tension s'élèvent à 2,2 milliards d'euros sur 5 ans. Soit un montant cinq fois supérieur à ce qui était investi par le passé. Ces investissements vont notamment permettre de prendre en compte la réalisation du renforcement de 15 postes en province du Luxembourg. C’est déjà prévu mais cela prend du temps."

Sofilux plaide pour plus d’interconnexion transfrontalière

Élia en appelle à une mobilisation coordonnée de l'ensemble des acteurs publics. Du côté de l'intercommunale de financement Sofilux, qui soutient les pouvoirs publics dans des investissements énergétiques, on répond déjà à l'appel: "il s’agit là d’un enjeu stratégique qui dépasse les seuls zones d’activités économiques et touche plus largement à la capacité de notre province à accompagner l’électrification croissante de nos infrastructures et de notre économie", écrit le président, Denis Collard (MR).

Dans l’attente d’une action fédérale et régionale structurée, l'intercommunale évoque "certaines pistes mériteraient d’être explorées", même si elles ne répondent que partiellement au problème:

  • Le renforcement des interconnexions transfrontalières, notamment avec la centrale EDF de Chooz ou via le réseau luxembourgeois de CREOS, pourrait représenter une opportunité, à condition d’un dialogue approfondi entre les gestionnaires de réseau concernés et les autorités compétentes.

  • La création de micro-réseaux locaux autonomes, avec stockage et production décentralisée, pourrait offrir une certaine souplesse dans des cas ciblés, en particulier dans les parcs d’activités. 

  • Il conviendrait également d’examiner les possibilités de recours temporaire à des postes mobiles ou à des équipements de renforcement ponctuel, comme cela s’est fait dans d’autres régions.

On notera que la suggestion d'une plus grande autonomie sur certains parcs d'activités s'illustrera bientôt à Marche-en-Famenne. Spécialisée dans la commercialisation de batteries domestiques, la société Noveway va justement se déconnecter totalement du réseau pour son nouveau bâtiment dans le zoning du WEX, dès décembre, en optant pour un système autonome combinant solaire, batteries et cogénération.