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Ces nombreux frontaliers belges… qui ne sont pas des Belges

Ces nombreux frontaliers belges… qui ne sont pas des Belges
 Publié le mardi 28 novembre 2023 à 11:27 - Mis à jour le mardi 28 novembre 2023 à 11:41    GDL

Près d’un quart des frontaliers belges ne sont pas des Belges. De fait, les travailleurs du Luxembourg, et parmi eux de nombreux Luxembourgeois, s’installent de plus en plus dans les pays voisins du Grand-Duché.


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Les frontaliers allant travailler au Luxembourg depuis la Belgique sont de plus en plus nombreux, mais la part de Belges parmi eux est de moins en moins grande. Un paradoxe qui s’explique par le phénomène des “frontaliers atypiques”, ces personnes qui, résidant et travaillant au Luxembourg, choisissent de quitter le Luxembourg tout en y poursuivant leur activité professionnelle.

Ce phénomène est d’ailleurs commun aux trois pays voisins du Luxembourg. Le nombre de frontaliers n’étant ni Belge, ni Allemand, ni Français a doublé en sept ans: ils étaient un peu plus de 19.000 en 2015, ils sont désormais près de 40.000 en 2022 (sur plus de 200.000 frontaliers au total), selon les chiffres du Statec. Un rythme de croissance bien plus élevé que celui des frontaliers en général, ce qui a mathématiquement fait croître leur part: ils représentent 18% des frontaliers en 2022, contre 11% en 2015.

Cette part est la plus élevée en Belgique: on peut déduire des chiffres du Statec que les non-Belges représentent près d’un quart (22,2%) des frontaliers résidant en Belgique en 2022 (50.800 frontaliers résidant en Belgique pour 39.500 frontaliers de nationalité belge). Légèrement plus qu’en Allemagne (21%) et surtout bien davantage qu’en France (15%). Et en augmentation depuis 2015, où les non-Belges représentaient alors 15,3% des frontaliers résidant en Belgique.

Lors d’un colloque en mai 2022 intitulé “L’évolution de la main-d’œuvre au Luxembourg: Le rôle des frontaliers”, le Statec pointait déjà l’ampleur du phénomène en constatant qu’entre 2010 et 2020, la part de frontaliers de nationalité belge et de nationalité allemande avait chacune diminué de 23% à 19%, l’évolution restant moins flagrante en France (de 47% à 46%).

En parallèle, les autres nationalités sont évidemment de plus en plus représentées parmi les frontaliers. Mais deux nationalités le sont tout particulièrement, avec un doublement entre 2015 et 2022: les Portugais (de 4.900 à 10.300) et surtout les Luxembourgeois (de 5.800 à 13.700). Les Italiens sont la troisième nationalité la plus présente, mais à une moindre échelle, et avec une croissance bien plus faible (de 2.300 à 3.500). Le nombre de frontaliers issus d’autres nationalités a lui aussi, en cumulé, plus que doublé (de 6.100 à 12.300).

Dans son colloque de 2022, le Statec constatait la hausse remarquable de la part de frontaliers de nationalité luxembourgeoise, qui a triplé en dix ans, de 2% à 6% entre 2010 et 2020. La conséquence d’un double phénomène: la crise du logement et l’obtention facilitée de la nationalité luxembourgeoise: “La hausse de la proportion des travailleurs frontaliers de nationalité luxembourgeoise peut en effet être attribuée en partie aux prix élevés de l'immobilier, incitant de plus en plus de Luxembourgeois à s'installer de l'autre côté de la frontière”, explique ainsi le Statec. “De plus, de nombreuses personnes non résidentes ont la possibilité d'obtenir la nationalité luxembourgeoise, ce qui les fait ensuite figurer en tant que Luxembourgeois dans nos statistiques.”

3.647 actifs ont quitté le Luxembourg en 2022

Dans une récente étude de juin 2023, l’inspection générale de la sécurité sociale (IGSS) du Grand-Duché s’est penchée sur ce “phénomène grandissant” des “frontaliers atypiques”. Que constate l’IGSS? Tout d’abord, elle confirme que le phénomène explose: au cours de l’année 2022, 3.647 actifs ont quitté le Luxembourg tout en continuant à y travailler - en comparaison, ils étaient 2.091 en 2012, soit un taux d'évolution de 75% en dix ans.

“Environ un tiers de cette augmentation s'explique par un effet «volume»: le nombre de frontaliers atypiques augmente par le simple fait que la population résidente augmente”, explique l’IGSS. “En revanche, plus des deux tiers s'expliquent par un effet «comportement», c'est‐à‐dire par une intensification du phénomène des frontaliers atypiques.”

Ensuite, elle confirme que l'évolution du phénomène est très différente selon les nationalités: “Elle est la plus forte pour les personnes de nationalité portugaise et luxembourgeoise et la moins forte pour les personnes originaires des pays frontaliers”. De fait, si le nombre de Français, Belges et Allemands qui retournent dans leur pays est stable sur dix ans, il explose pour les Luxembourgeois, les Portugais et les autres nationalités.

La France destination favorite

Vers quels pays ces “frontaliers atypiques” s'installent-ils? Sur l’année 2022, une nette majorité des 3.647 ” frontaliers atypiques” se sont installés en France (1.916), ainsi qu’en Allemagne (910) et en Belgique (821). Et les choix diffèrent selon la nationalité: 65% des Luxembourgeois se sont installés en Allemagne et 61% des Portugais en France. Pour les autres, “la quasi‐totalité des Français, Belges et Allemands qui ont quitté le Luxembourg et qui continuent à y travailler sont retournés dans leur pays d'origine”, constate l’IGSS. Tandis que les “les frontaliers atypiques des autres nationalités se sont installés à part quasi égale dans les trois pays frontaliers”.

Le phénomène des “frontaliers atypiques” concerne par ailleurs majoritairement des jeunes: 52% ont moins de 35 ans. “Toutefois, une part non négligeable quitte le Luxembourg à des âges plus avancés: 22% quittent le Luxembourg après 45 ans”, constate l’IGSS. Parmi eux, 60% sont des “cols blancs” tandis que 40% sont des “cols bleus” (des professions manuelles). Par ailleurs, 40% travaillent au Luxembourg depuis moins de 5 ans. “Pour eux, la décision de quitter le Luxembourg intervient dès les premières années de résidence au Luxembourg”, explique l’IGSS. “En revanche, dans 60% des cas, le départ intervient plus tard. Dans 15% des cas, il s'agit même de personnes travaillant au Luxembourg depuis plus de 20 ans.”

Rien n’indique jusque-là une inflexion du phénomène, la crise du logement, une de ses principales causes, restant très prégnante au Luxembourg. Reste à savoir si le nouveau gouvernement dirigé par Luc Frieden, qui a fait de la problématique du logement une de ses deux priorités avec le pouvoir d’achat, réussira à apporter des solutions permettant aux travailleurs d’avoir les moyens de se loger au Luxembourg.


Pierre Pailler