Société

Droit aux allocations familiales: “Les frontaliers peuvent reprendre confiance”

Droit aux allocations familiales: “Les frontaliers peuvent reprendre confiance”
FB G Gondon
 Publié le lundi 06 mai 2024 à 18:23 - Mis à jour le lundi 06 mai 2024 à 18:33    GDL

Alors que les recours juridiques se sont multipliés sans succès au Luxembourg pour reconnaître le droit aux allocations familiales pour les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers, la Cour de justice de l’UE devra finalement trancher la question. Une “très bonne nouvelle” pour les plaignants.


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 “C’est une très, très bonne nouvelle”, se réjouit Maître Pascal Peuvrel, avocat au sein du cabinet Jurislux, concernant une récente décision de la Cour de cassation luxembourgeoise relative au droit aux allocations familiales pour les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers. Jeudi 25 avril, cette dernière a en effet transmis un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’UE (CJUE), renvoyant à la juridiction européenne le soin de trancher cette question très polémique.

Pour rappel, l’affaire avait débuté en 2016 avec l’adoption d’une loi par la Chambre des députés supprimant le droit aux allocations familiales pour les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers. En pratique, cette évolution concerne les familles recomposées: par exemple, un homme, travailleur frontalier, se marie avec une femme qui a des enfants d’une précédente union. Dans un tel schéma, avant 2016, les enfants avaient alors automatiquement droit aux allocations familiales. Mais, depuis la loi de 2016, la Caisse pour l’avenir des enfants (CAE), en charge de l’octroi des allocations familiales, refuse de les accorder.

“Un tollé général”

“Ce fut un tollé général à l'époque”, se rappelle Pascal Peuvrel, qui soutient les procédures lancées par les frontaliers concernés. “Ce n'était d’ailleurs pas la première attaque qui était faite contre les frontaliers, déjà malmenés auparavant avec les dossiers relatifs aux bourses d'études.” De fait, en parallèle, le droit aux allocations familiales pour les résidents luxembourgeois n’est pas contesté. Or “les frontaliers cotisent autant que les résidents au système luxembourgeois”, rappelle l’avocat.

Les procédures judiciaires et les recours se multiplient alors contre les décisions de la CAE, jusqu’à un arrêt de la CJUE du 2 avril 2020: le juge européen estime alors que la loi luxembourgeoise est discriminatoire, notamment car elle constitue une atteinte à la liberté de circulation des travailleurs.

Une question d’interprétation

Alors que l’affaire semble clôturée, la CAE continue toutefois de refuser le droit aux allocations familiales aux enfants non biologiques des travailleurs frontaliers, cette fois-ci en se reposant sur une interprétation très stricte de l’arrêt de la CJUE. Le juge européen conditionne en effet l’octroi des allocations familiales au fait que le travailleur frontalier pourvoit effectivement à l’entretien des enfants. Or, cette notion peut s’interpréter de différentes façons. “Le fait de pourvoir à l’entretien de l’enfant peut être partiel ou total”, explique Pascal Peuvrel. 

La question est donc: à partir de quel niveau de contribution financière du parent non biologique le droit aux allocations familiales est-il déclenché? Suffit-il de contribuer au financement des études? De payer en partie le logement où l’enfant vit? “Ce serait une interprétation large”, estime Pascal Peuvrel. L’interprétation stricte étant que le travailleur frontalier doit prouver qu'il couvre tous les besoins de l’enfant. “C’est en soi assez ridicule: comment circonscrire l’intégralité des besoins de l’enfant?”, s’interroge l’avocat. “Cela pourrait vouloir dire que, si le parent biologique - celui qui n’a pas la garde des enfants - paie une pension alimentaire, alors les besoins de l'enfant sont couverts.”

Pourvoi en cassation puis renvoi préjudiciel

Suite à l’arrêt européen de 2020, la CAE fait donc le choix d’une interprétation stricte. Les recours juridiques, à nouveau, se multiplient. Cette fois-ci, le juge de première instance, en l'occurrence le Conseil arbitral de la sécurité sociale, donne toutefois raison aux plaignants et contredit la CAE. Mais pas le Conseil supérieur des assurances sociales, qui, en appel, les déboute dans tous les dossiers. “C’est systématique: on gagne en première instance et on perd en appel, à tel point que ça en devient gênant”, remarque d’ailleurs Pascal Peuvrel.

Celui-ci n’a malgré tout pas abandonné: “Par un phénomène d’usure, de nombreuses personnes ont abandonné les procédures, mais, de notre côté, une quinzaine de personnes ont décidé de se pourvoir en cassation”. Jusqu’à cette décision du 25 avril de la Cour de cassation de poser une question préjudicielle à la CJUE sur l’interprétation de la notion de “pourvoir à l’entretien des enfants”.

L’espoir d’une issue favorable

Il faudra désormais attendre au moins une année pour que la CJUE se prononce, ce qui mettra un terme, dans un sens ou dans l’autre, à la polémique, la décision du juge européen s’imposant au juge national. Mais, dans tous les cas, “cela met du baume au coeur et permet d’apercevoir à nouveau la lumière au bout du tunnel”, se réjouit Pascal Peuvrel. “Les juges d'appel étaient en train d’étouffer l'affaire au niveau national. Le juge de cassation a finalement eu l'intelligence et l'impartialité de demander un avis complémentaire au juge européen.”

Dans l’attente de la décision européenne, les procédures en cours sont en suspens. Mais, désormais, “les frontaliers peuvent reprendre confiance et espérer une issue favorable”, estime l’avocat, aussi président de l’association des frontaliers au Luxembourg, Les Flux. “Frontaliers, ne baissez pas les bras, continuez vos procédures si vous en avez entamé”, conseille-t-il. “Et si jamais vous avez déjà perdu ou subi un refus contre lequel vous n'avez rien fait, refaites un dossier.”


Pierre Pailler