Le système luxembourgeois des pétitions, qui sera réformé en mars, connaît un franc succès. Mais les travailleurs frontaliers, pour qui ce droit est pourtant ouvert au même titre que les résidents luxembourgeois, y recourent peu. En dix ans, un seul débat public a eu lieu suite à une pétition d’un résident belge.

Mercredi 25 janvier 2023, une habitante de Messancy, Katia Sabrina Litim, vient débattre à la Chambre des députés du Luxembourg face à une dizaine de députés et aux ministres Georges Engel, Yuriko Backes et Claude Haagen. 

La pétition publique qu’elle a déposé, qui réclame deux jours de télétravail par semaine à tous les travailleurs, y compris les frontaliers, a en effet reçu 13.892 signatures, dépassant largement le seuil de 4.500 signatures qui permet de déclencher un débat public au sein de l’assemblée législative du Grand-Duché.

Katia Sabrina Litim reste toutefois l’unique résidente belge à être parvenue jusque-là à débattre avec les représentants politiques luxembourgeois après dépôt d’une pétition. Ce droit est pourtant ouvert à tous les travailleurs frontaliers, qui sont désormais plus de 50.000 en Belgique.

Mais, parmi les frontaliers belges, peu nombreux sont ceux qui utilisent ce droit: seules 36 pétitions publiques ont été déposées par des résidents belges depuis l’ouverture de cette possibilité il y a plus de dix ans.

Avec plus de 2.000 pétitions et 80 débats, un succès indéniable

Pourtant, ce système de pétitions, lancé en 2014, a rencontré un franc succès. Entre 2014 et fin juin 2024, 2.651 pétitions publiques ont été déposées au total. Sur cette même période, dans 70 cas, le seuil de 4.500 signatures a été atteint (84 débats publics ont désormais été organisés en février 2025).

Et le rythme s’accélère: sur les sessions parlementaires 2021-2022 et 2022-2023, plus de 400 pétitions ont été déposées (plus d’une par jour) et plus de dix débats publics ont été organisés chaque année.

Le succès est tel que le système de pétitions luxembourgeois va d’ailleurs être réformé en mars. De fait, les services en charge sont désormais saturés. Désormais, parmi d’autres évolutions, un seuil de 5.500 signatures sera réclamé, contre 4.500 auparavant.

189 pétitions de frontaliers et 5 débats en 10 ans

Mais ce succès n'implique donc pas les travailleurs frontaliers. Sur les 2.651 pétitions, seules 189 ont été déposées par des résidents de France (97), d’Allemagne (56) ou de Belgique (36), soit à peine 7% du total. 

Une part dérisoire au regard du poids démographique des travailleurs frontaliers, qui représentent près de la moitié de la masse salariale du Grand-Duché et près d’un tiers des potentiels pétitionnaires (les conditions pour pétitionner sont d’avoir plus de 15 ans et un matricule de la sécurité sociale).

En outre, sur les 70 débats qui ont eu lieu sur la période 2014-2024, seuls cinq sont issus d’une pétition publique émanant d’un résident frontalier (deux de France, deux d’Allemagne et un de Belgique).

Des sujets de pétitions très variés

Pourtant, les sujets ne manquent pas: les travailleurs frontaliers sont tout autant concernés que les résidents luxembourgeois, voire plus dans certains cas, par les problématiques liées aux revenus, à la fiscalité, à la sécurité sociale, aux pensions ou à la mobilité.

Les pétitions déposées par les résidents belges l’illustrent d’ailleurs très bien: congés parentaux, imposition des célibataires, montant des chèques repas, indexation automatique des barèmes d’imposition, congés maladies, télétravail, bourse de mobilité pour les étudiants, impôt sur le revenu pour les célibataires… Les sujets sont très divers et montrent bien l’étendue des questions qui relèvent de choix politiques luxembourgeois mais qui concernent directement les travailleurs frontaliers.

Le faible nombre de pétitions de la part des frontaliers peut d’autant plus surprendre que ceux-ci ont peu de moyens de faire valoir leurs droits au Luxembourg, étant exclus des élections communales et législatives du pays.

“Pour pouvoir s'impliquer, il faut un espace où exister”

Cette absence d’investissement des frontaliers, illustrée de la même manière lors des élections syndicales (moins d’un quart des électeurs frontaliers potentiels y participent), est “un indicateur supplémentaire quant à la distorsion qui existe entre le système politique du pays et la structure économique sur laquelle il repose”, selon le président de l’association Frontaliers Luxembourg, Georges Gondon.

“Pour pouvoir s'impliquer, il faut un espace où exister”, explique-t-il. “Or, le problème est qu'il n'existe aucune structure dans laquelle le travailleur frontalier est clairement identifié. Ils ne sont vus qu'au travers du prisme de leurs fonctions de salariés, au travers des syndicats. C'est le seul regard qui est posé sur eux. C'est leur seul espace de reconnaissance.”

Revoir notre reportage sur la pétition de Katia Sabrina Litim

Une réforme des mécanismes de représentation nécessaire

Pour mieux inclure les travailleurs frontaliers dans la vie politique, une réforme des mécanismes de représentation est nécessaire pour leur garantir un statut et une présence réels au sein du Luxembourg, selon lui. Une évolution qui est la seule solution pour in fine les inciter à davantage s'impliquer dans la vie politique luxembourgeoise et à défendre leurs droits, via notamment les élections syndicales ou le système des pétitions.

Car si le débat déclenché par Katia Sabrina Litim n’a pas permis d'obtenir deux jours de télétravail par semaine pour les frontaliers, il aura au moins rappelé aux décideurs politiques luxembourgeois une réalité à laquelle eux-mêmes et leurs proches ne sont jamais confrontés. Une première étape indispensable pour faire évoluer les politiques.