Le micro-rover Tenacious, 100% made in Luxembourg, pourrait s’envoler pour la Lune dès la fin de l’année. Une des ses missions: collecter du régolithe lunaire pour le vendre à la NASA. Ce qui devrait susciter un vif débat au sein de la communauté internationale, l’exploitation des ressources spatiales restant très controversée.
Dans le courant de l’année 2025, ou peut-être même dès décembre 2024, une fusée Falcon 9 rocket de SpaceX s’élancera depuis Cap Canaveral, en Floride. Destination: la Lune. A son bord: un rover entièrement développé et assemblé au Luxembourg, dans les locaux du siège européen de l’entreprise ispace.
Nommé Tenacious, ce rover est l’un des plus petits et des plus légers jamais construits: 26 cm de haut, 31,5 cm de large et 54 cm de long pour un poids de 5 kg. Mais le micro-rover peut toutefois transporter jusqu’à un kilogramme de charge utile. Équipé à l’avant d’une caméra HD afin de capturer des images de la surface lunaire, de quatre roues conçues de manière à ce qu’il puisse traverser le régolithe lunaire de manière stable, Tenacious sera, une fois sur la Lune, entièrement monitoré depuis le centre de contrôle installé au Luxembourg.
Un défi technique pour ispace
Il aura pour mission, une fois déployé à partir de l’atterrisseur lunaire Resilience, lui aussi développé par ispace, de procéder à l’exploration de la surface de la Lune, relativement méconnue. Il analysera ainsi différents paramètres, notamment l’impact de l’alunissage sur l’environnement lunaire ou l’épaisseur de pénétration du rover sur le sol, afin de déterminer les ressources disponibles – notamment l’eau -, leur quantité, leur localisation, leurs propriétés, mais aussi les possibilités d’extraction.
De l’alunissage au contrôle du rover sur la Lune en passant par la série d’expériences que celui-ci devra effectuer, il s’agira d’un challenge technique considérable pour ispace, qui tachera d’effacer l'échec de son alunissage lors d’une précédente mission en 2023 et de démontrer ses capacités en la matière.
Photo de l'alunisseur : ispace
Vendre 5.000 dollars de régolithe lunaire à la NASA
Mais la mission principale de Tenacious consistera à récolter du régolithe lunaire pour le compte de la NASA, puis de le vendre à l’agence américaine pour la somme de 5.000 dollars. Une opération qui restera essentiellement symbolique, comme l’illustre la somme d’argent déboursée ou le fait que le régolithe lunaire ne quittera pas plus le petit excavateur de Tenacious que la Lune.
Il s’agira néanmoins d’une des premières - si ce n’est la première - transactions commerciales impliquant des ressources spatiales. Or la question de vendre et d’acheter des ressources spatiales reste hautement controversée, la communauté internationale étant divisée sur ce point.
Le droit international inexistant
De fait, puisqu’aucun traité international ne tranche la question et que les progrès technologiques permettent désormais d’envisager concrètement l’exploitation concrète des ressources, certains États ont décidé de se doter de leur propre réglementation nationale.
Les États-Unis ont été les premiers à franchir le pas en 2015: le Space Act reconnaît alors de manière unilatérale que les ressources spatiales sont susceptibles d’appropriation en vue d’une exploitation commerciale, provoquant une levée de boucliers de la part d’autres États, en premier lieu la Russie.
Le Luxembourg précurseur sur les ressources spatiales
Le Luxembourg a rapidement embrayé, avec le lancement dès 2016 d’une stratégie nationale sur les ressources spatiales puis l’adoption d’une loi l’année suivante. Mais l'approche du Grand-Duché est davantage inclusive: le pays reconnaît explicitement la nécessité de trouver un accord au niveau international et a toujours incité à négocier au niveau des Nations Unies.
Cela dit, si un groupe de travail “sur les aspects juridiques des activités relatives aux ressources spatiales” a été lancé en 2022 sous l’égide de l’ONU, de telles discussion ont pour le moment peu de chances d’aboutir, faute de consensus entre pays. Certains d’entre eux peuvent en effet légitimement redouter une exploitation tous azimuts des ressources spatiales par les grandes puissances tandis qu’eux-mêmes, dépourvus d’industrie spatiale, n’en ont pas les capacités technologiques.
Provoquer le débat avec un cas pratique
Le cadre juridique de la mission que devra remplir le micro-rover Tenacious, qui implique les États-Unis, le Luxembourg et le Japon, est quant à lui tout à fait clair, les trois pays ayant chacun adopté une réglementation nationale sur les ressources spatiales.
La transaction évolue toutefois dans une zone grise au niveau du droit international. Et c’est d’ailleurs ce que recherchent les différents acteurs avec ce cas pratique: provoquer le débat. Si certains États s’opposent à une telle opération, ils devront soulever des arguments juridiques, auxquels il faudra répondre. De quoi peut-être faire progresser le droit international en la matière.
Pierre Pailler