Le gouvernement luxembourgeois veut s’attaquer au système de pensions du pays, dont l'équilibre est menacé dans les prochaines décennies. Une réforme politiquement délicate à manoeuvrer, contre laquelle les syndicats sont déjà vent debout. Travailleurs frontaliers et résidents étrangers sont en première ligne.
Au Luxembourg, l’éventualité d’une réforme du système de pensions fait prudemment son chemin. Si le gouvernement du Grand-Duché n’a pas encore décrit la forme qu’elle pourrait prendre ni même si elle aura véritablement lieu, la ministre de la Sécurité sociale, Martine Deprez (CSV), a entamé début octobre un premier round de consultations avec différents acteurs de la société civile.
De quoi provoquer une levée de boucliers de la part des syndicats avant même qu’une ébauche de projet de réforme soit sur la table. Dès le début des discussions, les deux principaux syndicats nationaux, l’OGBL et le LCGB, qui considèrent qu’une telle réforme n’est ni urgente ni même nécessaire, ont annoncé vouloir mener une “opposition syndicale commune à toute tentative de démantèlement des pensions au Luxembourg et ce, ne serait-ce que d’un centimètre”.
Le gouvernement avance prudemment
Devant un sujet aussi socialement inflammable, le gouvernement marche donc sur des œufs. Le CSV et le DP, les deux partis de la majorité, se sont d’ailleurs bien gardés d’aborder un tel sujet, électoralement explosif, pendant la campagne des législatives il y a un an. Avant d’inscrire discrètement dans l’accord de coalition une fois élus qu’“une large consultation sera organisée avec la société civile sur la viabilité à long terme de notre système des retraites, ceci afin de trouver un consensus à ce sujet”.
De fait, pour les tenants d’une réforme, l’équilibre du système de pensions est gravement compromis. L’explosion démographique et la croissance économique soutenue qu’a connu le pays ont en effet permis de maintenir à l’équilibre un système très généreux (avec des pensions parmi les plus élevées d’Europe). Celui-ci est d’ailleurs encore excédentaire du fait de la forte croissance de l’emploi que le Luxembourg a connue ces dernières années.
5% de croissance par an nécessaire
Mais si, à l’heure actuelle, environ 500.000 travailleurs financent les quelque 210.000 pensionnés, il faudrait à l’avenir, à système équivalent, 1.200.000 cotisants pour financer les retraites des 500.000 actifs d’aujourd’hui, et ainsi de suite. “Utopique”, selon le patronat luxembourgeois.
La Fondation Idea, think tank rattaché à la Chambre de commerce, estime quant à elle qu’une croissance de 5% par an serait nécessaire dans les 40 prochaines années pour soutenir le système de pensions actuel. Impensable même pour le florissant Luxembourg, selon le cercle d’économistes, alors que la conjoncture économique actuelle n’est plus du tout la même que lors des décennies précédentes, et que le pays, qui fait face à une grave crise du logement et de la mobilité, semble incapable d’accueillir le nombre de travailleurs frontaliers et résidents supplémentaires nécessaires à une telle hypothèse de croissance.
La Commission européenne recommande une réforme
La Commission européenne prône aussi la nécessité d’une réforme, soutenant que “les dépenses liées aux retraites devraient dépasser les recettes provenant des cotisations au cours de la seconde moitié de cette décennie, ce déficit se creusant progressivement par la suite.”
Elle remarque en outre que, d’ici à 2070, “l’augmentation des dépenses de retraites devrait doubler pour atteindre environ 17% du PIB”, soit “la proportion potentiellement la plus élevée au sein de l’UE”, ajoute-t-elle. Un ensemble de facteurs qui mettrait in fine “en péril la viabilité financière du système de retraites luxembourgeois, tout en accroissant la dette publique”, prévient la Commission.
Le choix délicat des mesures
Quel qu’en soit l’aboutissement, le débat sur la réforme du système de pensions semble donc nécessaire et aura lieu, avec un état des lieux prévu au printemps 2025. Restera alors le plus dur: décider de mesures concrètes, entre hausse du taux de cotisation ou de l'âge légal de départ à la retraite, baisse des prestations, réduction de la différence entre l'âge de départ à la retraite légal (65 ans) et effectif (en moyenne 60 ans, parmi les plus précoces d'Europe) ou encore hausse de l'attractivité du régime complémentaire. Des leviers politiquement très délicats à manœuvrer.
Le gouvernement a d’ailleurs prévu de consulter le grand public via la plateforme "Schwätz mat!", qui permet à la société civile de transmettre son opinion sur le système de retraite actuel et de proposer des suggestions sur la manière dont un système de retraite durable devrait se présenter à l'avenir, ainsi que via un questionnaire qui sera rendu public début 2025.
Les pensions publiques absentes des débats
Mais déjà certains pointent du doigt un absent des débats: les pensions publiques. Le gouvernement n’a en effet ouvert les discussions qu’à propos du régime général de pensions, qui concerne le secteur privé, sans mentionner les régimes spéciaux, qui gère les employés de l’Etat, et qui est encore plus favorable.
De fait, le régime général concerne pour une très grande part les travailleurs frontaliers et les résidents étrangers, dépourvus du droit de vote aux élections législatives. Les employés de l’Etat sont quant à eux pour l’essentiel luxembourgeois et décideront donc de la prochaine majorité. On peut donc douter que le gouvernement actuel prendra le risque de froisser ces derniers.