Un réseau de communication quantique de 132 km s’étend de Redu à Luxembourg en passant par Arlon. Avec l’ambition de relever le défi de la révolution à venir en matière de cybersécurité.
De part et d’autres de la frontière entre la Belgique et le Luxembourg, s’étendent 132 kilomètres de réseau en fibre optique, qui a une particularité bien à lui: il permet d’échanger de manière ultrasécurisée des informations sensibles par le biais de la communication quantique.
Le réseau s’étend d’un centre de l’agence spatiale européenne (ESA) à Redu jusqu’à une antenne de l’Université du Luxembourg au Kirchberg, dans la capitale du Grand-Duché, en passant par un centre de données de BelNet à Arlon.
L’ESA Redu, un centre dédié à la cybersécurité
“Il existe une tradition de collaboration entre le Grand-Duché et l’ESA Redu”, explique le directeur du centre européen pour la sécurité et l’éducation spatiale (ESAC), Jean-Luc Trullemans. Avec des points d'attractivité communs clairement identifiés. Parmi eux, “la cybersécurité et le quantique”, détaille-t-il.
De fait, si l’ESA Redu est un centre dont les tâches sont très diversifiées, sa mission essentielle porte sur la cybersécurité, les menaces cyber visant les activités dans l’espace étant de plus en plus nombreuses. “Les besoins en matière de cybersécurité sont en train d'exploser”, prévient Jean-Luc Trullemans.
Le quantique, une révolution dans le domaine de la cybersécurité
Un phénomène qui devrait encore s’accentuer dans les années à venir, sous l’impulsion des nouvelles technologies, en particulier du quantique, qui représentent des défis d’une toute autre nature. “Casser” une clé de décryptage complexe, afin de lire le contenu d’un message sécurisé, peut en effet prendre jusqu’à 150 ans de travail sur un ordinateur classique… mais seulement quelques secondes avec les énormes capacités de calcul des ordinateurs quantiques.
Une véritable “révolution” dans le domaine de la cybersécurité, assure Jean-Luc Trullemans, qui devrait à terme rendre complètement obsolètes les techniques contemporaines de cryptage et de décryptage.
L’ampleur attendue est telle que les services de renseignement ne tentent d’ailleurs même plus de décrypter avec les méthodes actuellement disponibles les données qu’ils collectent. “Ils les mettent au frais et attendent tout simplement la mise à disposition de cette nouvelle technologie pour les décrypter”, assure Jean-Luc Trullemans.
Avec EuroQCI, l’Europe se lance dans la communication quantique
Afin de se préparer à cette révolution, une branche spécifique de la communication quantique, la recherche sur la distribution de clés quantiques (Quantum Key Distribution, ou QKD), est au cœur de l’attention. Cette technologie a en effet un avantage majeur en matière de cybersécurité: si une communication entre deux parties est interceptée par un tiers, cette interférence devient immédiatement détectable. Autrement dit, il est impossible de tenter de voler des données sans que cela se sache.
L’Europe s’est d’ailleurs lancée dans la course à la communication quantique, notamment en lançant en 2019 sa stratégie EuroQCI (pour Quantum Communication Infrastructure) qui vise à créer une infrastructure de communication quantique sécurisée couvrant l’ensemble de l’UE. FranceQCI, Q-net-Q en Allemagne, QCINed aux Pays-Bas, mais également Lux4QCI au Luxembourg et BeQCI en Belgique, en sont autant de déclinaisons au niveau des Etats membres participant.
Un premier contact quantique transfrontalier en octobre 2024
Le réseau de communication quantique entre la Belgique et le Luxembourg est une mise en œuvre à l’échelle locale de ce projet. Avec une extension progressive: dans un premier temps, une liaison de 45 kilomètres a été établie entre Luxembourg-ville et Arlon, par le biais de laquelle les deux pays sont parvenus pour la première fois, en octobre 2024, à échanger des clés de chiffrement.
Le choix d’Arlon n’a d’ailleurs pas été le fruit du hasard: la ville est à mi-distance entre la capitale du Grand-Duché et le centre de l’ESA, à Redu, un site “idéal pour de futures expérimentations impliquant une intégration satellitaire”, selon le SnT (Interdisciplinary centre for security, reliability and trust) de l’Université du Luxembourg, qui supervise la mise en place de l’infrastructure côté luxembourgeois.
Vers une communication quantique par satellite
Le projet EuroQCI est en effet composé d’un segment terrestre reposant sur des réseaux de communications en fibre reliant des sites stratégiques aux niveaux national et transfrontalier, mais aussi d’un segment spatial basé sur des satellites, indispensable “pour étendre la QKD sur de longues distances”, explique le SnT. La liaison entre l’ESA et l’Université du Luxembourg a abouti en juin dernier, ce qui permettra à terme de tester la communication quantique par satellite.
Les prochaines années seront mises à profit pour démontrer l’applicabilité d’une telle technologie qui, pour l’instant, n’est pas encore mature. “Nous sommes en phase de démonstration, il y a encore énormément d’inconnus à lever”, prévient Jean-Luc Trullemans. “Mais d'ici cinq ans, nous allons commencer à démontrer des choses sérieuses”, espère-t-il.
Un réseau étendu sur l’ensemble du Benelux
En parallèle, le réseau de communication quantique devrait continuer à s’étendre, et ce jusqu’aux Pays-Bas, afin de créer un “node” Benelux. Le Centre européen de recherche et de technologie spatiales (ESTEC), le plus grand centre de l'agence, qui est dédié à la recherche et au développement, notamment dans le domaine cyber, est en effet situé aux Pays-Bas.
“L’idée est donc d'accrocher les trois États membres pour renforcer à la fois notre capacité de mobilisation de l'industrie et de mobilisation des centres ESA”, explique Jean-Luc Trullemans. Et de se tenir prêt pour la révolution quantique à venir.
Ci-dessous: Jean-Luc Trullemans en compagnie du Roi lors d'une visite à Redu