Judiciaire

Mort de Gilbert Pipeaux en 2015. Meurtre ou coups et blessures ?

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 Publié le jeudi 27 avril 2017 à 17:53 - Mis à jour le jeudi 27 avril 2017 à 22:39    Bouillon - Neufchâteau


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Ce jeudi matin, le procès d’Eric Pipeaux a repris devant le tribunal correctionnel de Neufchâteau. L’homme de 42 ans a-t-il tué son oncle, Gilbert, le 14 novembre 2015 à Menuchenet ? Ou a-t-il porté des coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner ? La question cruciale était au cœur du réquisitoire et des plaidoiries. Pour le Ministère public et la partie civile, la réponse est oui. La défense, par contre, rejette l’homicide volontaire. Gilbert Pipeaux aurait provoqué son neveu. Voici les réactions recueillies en fin d’audience.

Nous avons compilé ci-dessous, plus en détails, quelques extraits des plaidoiries entendues, ce jeudi matin, devant le tribunal correctionnel de Neufchâteau.

 Pour la partie civile (la soeur de la victime), l’avocat chestrolais Vincent Ghislain :

« Le passé judiciaire de mon ancien client a été évoqué, il ne doit en rien enlever la gravité des faits. Sa mauvaise réputation ne justifiait pas une condamnation à mort. »

Selon lui, « le jour des faits le prévenu avait été voir sa cousine, à Neufchâteau. » Celle-ci l’aurait avertie : « Ne fais pas de bêtise. » La scène se serait déroulée juste avant qu’Eric Pipeaux ne se rende à Menuchenet, le samedi 14 novembre 2015.

Eric Pipeaux a expliqué qu’il était allé chez son oncle… Mais lorsqu’il est arrivé, ce dernier était absent. Eric Pipeaux l’a alors attendu… « Le prévenu est venu avec de mauvaises intentions… Si la voiture n’était pas là, pourquoi n’est-il pas reparti ? ».

Gilbert, la victime, était homosexuelle. Il vivait avec un homme, ce qui lui a valu des soucis dans la famille.

Le contexte familial était aussi tendu suite à la mort de la maman de Gilbert. Il s’est occupé des funérailles mais la famille s’est empoignée à la mortuaire autour de la succession. C’était il y a quatre ans. Le climat dans la famille s’est dégradé à partir de là.

Abandonné dans un bain de sang

Pour Vincent Ghislain, Eric Pipeaux « ne dit pas toute la vérité. Il a porté des coups avec un objet contondant qui n’a pas été retrouvé ! Par contre, il y a peu ou pas de traces de sang sur les baskets du prévenu. »

Lorsque la bagarre éclate, « Gilbert s’est dégagé. Il est rentré chez lui. Il a essayé de s’enfermer. Eric Pipeaux l’a poursuivi. Il a visé sa tête. Il y avait une volonté d’homicide. L’intention était de le frapper jusqu’à ce que Gilbert meure. Eric Pipeaux l’a abandonné là, dans un bain de sang, sans prévenir les secours. Il l’a laissé mourir seul. »

Ce qui justifie encore le meurtre ici, c’est la violence des coups. « Gilbert Pipeaux n’avait aucune chance de lui échapper. Le prévenu s’est acharné, ce qui démontre aussi l’intention d’homicide. »

En ce qui concerne l’excuse de la provocation (article 411 du Code pénal). Vincent Ghislain, avocat de la sœur de la victime, termine : « Gilbert aurait dit attention à tes gamines. Faut-il croire le prévenu ? Non, il n’y avait pas de péril imminent qui aurait pu excuser son geste. »

Le réquisitoire du Ministère public, représenté par Sarah Pollet :

Elle est revenue sur les nombreux coups portés à Gilbert Pipeaux, ayant pour conséquence « une mort inévitable. Le légiste a insisté, dans son rapport, sur la violence. Gilbert Pipeaux a perdu son œil gauche. La scène de coups aurait duré 15 à 30 secondes selon le prévenu. Elle a duré beaucoup plus longtemps. Le nombre de coups portés à la tête ont touché le cerveau. Gilbert Pipeaux n’avait aucune chance de s’en sortir, même avec une arrivée plus rapide des secours. Cinq jours après les faits, Eric Pipeaux n’a lui, par contre, aucune lésions aux mains.»

Sarah Pollet poursuit : « Les choses auraient pu se passer différemment. Eric Pipeaux aurait pu crever les pneus et partir. Mais non, il l’a massacré. »

 

Un meurtre de sang-froid ?

En analysant certains éléments, selon elle, comme les moyens utilisés pour commettre son acte ainsi que la partie du corps visé, la force et le nombre de coups portés, Sarah Pollet voit « de l’acharnement »  ainsi qu’ « un meurtre de sang-froid ».

Concernant l’excuse de la provocation et la fameuse phrase qu’aurait lancée Gilbert Pipeaux : « Tu vas voir tes gamines ! ». Elle explique qu’il faut une violence grave. La menace, ici, a été proférée par la victime alors qu’elle tentait de fuir et de se réfugier chez elle. La défense évoque dans ses conclusions le passé judiciaire de Gilbert Pipeaux. « Était-il violent ou dangereux ? On parle en fait de conflits familiaux liés à une succession, de violation de domicile, de coups légers. Des dossiers classés sans suite. A aucun moment, on ne parle de menaces d’enfants.  Les seules condamnations concernent des violences à l’égard de son compagnon et d’un automobiliste suite à un accident de roulage. (…) Battre quelqu’un à mort pour une menace verbale, c’est aller loin. La réaction d’Eric Pipeaux est disproportionnée.»

 

15 à 18 ans requis

Sarah Pollet, substitut du procureur du roi, termine son réquisitoire en expliquant que « la violence ne doit pas être banalisée. On n’a pas le droit de tuer pour une phrase, peut-être mal interprétée ». Elle demande « une peine sévère. Eric Pipeaux a des circonstances atténuantes. Il n’est pas dangereux, ce n’est pas un psychopathe. Il est stable, travailleur mais il a des antécédents judiciaires lui aussi. » Pour cela, elle réclame une peine de 15 à 18 années d’emprisonnement.

 

Pour la défense, l’avocat paliseulois Didier Bernard :

 

D’emblée, il souligne la sincérité et l’honnêteté de son client. « Eric Pipeaux n’élude rien, il assume. Il ne voulait pas la mort de son oncle. Il n’aurait pas foutu en l’air la vie qu’il a, sa vie sociale et familiale, stable depuis 15 ans.» Le drame du 14 novembre résulte, d’après l’avocat « de la conjonction d’événements, la fatalité. »

A propos des coups portés à la tête précisément : « Pourquoi la tête ? Eric Pipeaux n’avait pas le choix étant donné la configuration des lieux (NDLR : le hall d’entrée). »

La partie civile avait fait référence à l’utilisation probable d’un objet. Didier Bernard balaie cet argument : « Le dossier l’exclu totalement. Un objet contondant blesse sans couper et sans percer. Le pied ou le poing sont des objets contondants donc il n’a pu utiliser d’objet tiers. » Pas plus qu’une plaque de fer, selon l’avocat, tâchée de sang et retrouvée à proximité de Gilbert Pipeaux.

Son client a passé quatre mois en détention préventive. A partir du moment où il s’est rendu à la police, quelques jours après les faits, le juge Langlois a toujours qualifié ceux-ci de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Mais, au moment du renvoi en correctionnelle, le Parquet a requalifié les faits d’homicide volontaire.

Pour Me Bernard : « il n’y avait pas d’intention de tuer, pas de meurtre dans notre cas. Si on a demandé à ce que le passé judiciaire de Gilbert Pipeaux soit versé au dossier, c’est pour montrer de quoi celui-ci était capable.»

 

Eric Pipeaux aurait « pété un câble »

Le 14 novembre, les choses auraient donc « mal tournées ». Eric Pipeaux n’aurait « pas eu conscience de la violence de ses coups. » Pour Me Romain, qui assiste Me Bernard dans ces procès, l’excuse de la provocation doit être retenue : « Eric Pipeaux a pété un câble face à Gilbert Pipeaux, un homme sans foi ni loi qui s’en était déjà pris à sa famille, à des inconnus ainsi qu’à des policiers. »

L’avocate explique encore qu’Eric Pipeaux « craignait gravement pour la vie de ses filles, la prunelle de ses yeux. Un autre homme normal aurait pu avoir la même réaction face à un homme capable du pire. »

Me Bernard, enfin, a repris la parole. Au regard de la peine requise (15 à 18 ans), il a estimé que les quatre mois effectués en préventive par son client, étaient largement suffisants. « Il a le droit à un sursis, y compris un sursis probatoire. »

Eric Pipeaux s’est dit lui prêt à cette possibilité que pourraient lui donner les juges professionnels. Il a repris la parole, en fin d’audience, pour rappeler qu’il n’avait « jamais voulu en arriver là. » Eric Pipeaux regrette son geste. Il sera fixé sur son sort le 18 mai prochain.

S. BOUDOU

@Sami_Boudou