Publié le jeudi 12 juin 2025 à 18:26 - Mis à jour le jeudi 12 juin 2025 à 18:53 GDL
Dans le dossier des allocations familiales pour les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers, en cours d’examen devant la CJUE, l’avocat général a rendu un avis qui désavoue l'interprétation de l’administration luxembourgeoise. De quoi donner de l’espoir aux plaignants.
Dans le cadre du dossier très sensible relatif au droit aux allocations familiales pour les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers, qui avait créé un tollé au Luxembourg, l’avocat général a frappé fort, jeudi 12 juin au matin.
“Dès lors qu’il réside au domicile commun et, partant, qu’il vit dans une communauté familiale” avec le travailleur frontalier, l’enfant biologique de ce dernier peut bénéficier de l’allocation familiale “prévue dans l’État membre où ledit travailleur exerce une activité salariée”, a-t-il estimé dans ses conclusions.
Un “signal fort”
Une solution “simple” pour un “signal fort”: le président de l’association Frontaliers Luxembourg, Georges Gondon, avait toutes les raisons de se réjouir après le prononcé des conclusions.
Pour bien comprendre cette décision, il convient de revenir aux origines de l’affaire: en 2016, la Chambre des députés adopte une loi supprimant le droit aux allocations familiales pour les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers. En pratique, cette évolution concerne les familles recomposées: par exemple, un homme, travailleur frontalier, se marie avec une femme qui a des enfants d’une précédente union.
Un premier arrêt de la CJUE en 2020
Or, avant la loi de 2016, les enfants avaient automatiquement droit aux allocations familiales. Mais, suite à cette loi, la Caisse pour l’avenir des enfants (CAE), en charge de l’octroi des allocations familiales, refuse de les accorder. Un tollé alors que le droit aux allocations familiales pour les résidents luxembourgeois n’est de son côté pas contesté, quand bien même les frontaliers cotisent autant que les résidents au système luxembourgeois.
Les procédures judiciaires et les recours se multiplient, jusqu’à ce que la CJUE soit saisie une première fois de la question. Et, lors d’un arrêt du 2 avril 2020, le juge européen estime alors que la loi luxembourgeoise est discriminatoire, notamment car elle constitue une atteinte à la liberté de circulation des travailleurs. Il conditionne néanmoins l’octroi des allocations familiales au fait que le travailleur frontalier pourvoit effectivement à l’entretien des enfants.
Interprétation très stricte de la part de l’administration luxembourgeoise
La CAE continue toutefois de refuser le droit aux allocations familiales aux enfants non biologiques des travailleurs frontaliers, en se reposant sur une interprétation très stricte de l’arrêt de la CJUE, qui consiste à estimer que le travailleur frontalier doit prouver qu'il couvre l’intégralité des besoins de l’enfant.
Les procédures judiciaires se poursuivent au Luxembourg, jusqu’à ce que la Cour de cassation, le 25 avril 2024, décide de poser une question préjudicielle à la CJUE sur l’interprétation de la notion de “pourvoir à l’entretien des enfants”.
Finis les “comptes d’apothicaires”
Le seul fait que l’enfant partage un “domicile commun” et vive dans une “communauté familiale” avec le travailleur frontalier pour avoir droit aux allocations familiales du Luxembourg est donc une réponse qui désavoue largement l’interprétation de la CAE. “On simplifie très clairement le système en disant: “Voilà, s'ils sont domiciliés au même endroit, ils font partie d'une même famille””, remarque Georges Gondon.
Finis les “comptes d’apothicaires”: “Il n’y aura pas besoin de remplir des dossiers avec des pages et des pages de justifications concernant les frais engagés. Il suffit qu'ils soient domiciliés au même endroit. Point”, explique Georges Gondon. En outre, la solution de l’avocat général est “très facile à contrôler”, observe-t-il. “Cela facilite même la vie de l'administration luxembourgeoise.”
Introduire des recours dès maintenant
Bien sûr, l’avis de l’avocat général ne vaut pas l’arrêt de la Cour, qui sera probablement rendu à l’automne prochain. Mais cela donne une claire indication sur ce que pourrait être la décision finale, cet avis étant la plupart du temps suivi par le juge. Le processus ne sera d’ailleurs pas encore fini à ce stade: il faudra que la Cour de cassation rende sa propre décision, puis renvoie l’affaire en appel.
Si le processus reste long, “ce qui est important, c'est que les gens introduisent leurs demandes aujourd'hui”, insiste toutefois Georges Gondon. Car même si le recours des plaignants est refusé dans un premier temps, il aura un effet rétroactif dans l’hypothèse - désormais probable - où la CJUE rend un arrêt qui leur est favorable. De quoi bénéficier de mois d’allocations familiales refusées par l’administration luxembourgeoise. Or, “le jour où cela se clôturera, l'effet rétroactif sera disponible uniquement pour les personnes qui auront introduit une demande”, prévient Georges Gondon.
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